Marcel Granet – La pensée chinoise

Granet Marcel, La pensée chinoise, Albin Michel, 1988 et 1999, p 409-410

Présentation

Marcel Granet (1884 – 1940) est un éminent sinologue français spécialiste de la Chine ancienne.

Texte

“Au prosélytisme et à la faconde rhétoricienne de Mö Tseu s’oppose la vie effacée et secrète des sages du Taoïsme. Sans souci, ils vivent dans les solitudes, ou bien, au milieu des hommes, se réfugient dans l’extase. Ils ne s’inquiètent pas de recruter des adeptes. S’ils font des conversions, c’est par l’effet d’un enseignement silencieux. Ils recherchent la sainteté avec tant de désintéressement qu’ils n’ont l’idée ni d’en faire bénéficier autrui, ni d’en profiter eux-mêmes d’aucune manière. Ce sont des ascètes, mais qui détestent les macérations. Ce sont des croyants, mais peu leur importent dieux, dogmes, morales, opinions. Ce sont des mystiques, mais jamais prières ou effusions ne furent plus froides et plus impersonnelles que les leurs. Ce sont, du moins ils n’en doutent pas, les seuls véritables amis de l’homme, mais ils se moquent des bonnes oeuvres. Ils connaissent, disent-ils, la vraie manière de mener le peuple; cependant, ils profèrent leurs plus durs sarcasmes s’ils entendent parler de devoir social. Ils ont fourni à la Chine des chefs de secte redoutables, des politiciens pleins d’entregent, ses dialecticiens les plus subtils, les plus profonds de ses philosophes, son meilleur écrivain. Pourtant, ils n’estiment que la modestie, l’abstention, l’effacement. Nul n’est saint, insinuent-ils, s’il laisse une trace.”