Farid-ud-Din ‘Attâr – La conférence des oiseaux

Farid-ud-Din ‘Attâr, La conférence des oiseaux, Avant-Propos, Paris, Seuil, 2002

Présentation
Farid-ud-Din ‘Attâr était un poète mystique persan né à Nishapour dans le Khorassan vers 1142 et mort entre 1190 et 1229.

Texte
« Dieu maintient tout sur rien. De l’atome aux soleils tout est signe qu’Il est. Ce monde où nous vivons n’est qu’un caillou perdu au fond de Son Jardin. Oublie l’eau, l’air, le feu. Oublie tout. Tout est Dieu. Vois la Terre. C’est Lui. Vois l’au-delà. C’est Lui. Tout n’est que Sa parole infiniment diverse, tout n’est que Son habit infiniment changeant. Reconnais donc ton Roi sous Ses mille manteaux ! Tu ne peux te tromper, puisque tout n’est que Lui. Hélas, nul ne le voit. Nous sommes aveuglés par l’éclat de Son Être.

 

Si tu Le percevais, voyant que tout est Lui, tu serais aussitôt corps et âme défait. Tous ceux qui ont atteint le seuil de Sa maison ont oublié le monde. Ils ne sont plus eux-mêmes, ils sont Ses compagnons. O Seigneur si présent que nul ne voit Ta face, il n’est qu’un seul vivant dans l’univers, c’est Toi ! Tu as caché les âmes au secret de nos corps et Toi-même es caché au secret de nos âmes, ô âme de nos âmes, ô secret des secrets ! (…) Tu es tant au dehors qu’au plus chaud de nous-mêmes. Ce que l’on dit de Toi, Tu l’es et Tu ne l’es pas. L’esprit désire-t-il se rapprocher de Toi ? Un vertige le prend. Voilà qu’il perd le fil. Sa route se défait. Partout dans l’univers Ton Être est manifeste, et personne ici-bas ne peut Te rencontrer ! Chacun à sa façon Te décrit, Te pressent. Tous doivent, à bout d’efforts, s’avouer impuissants à prouver que Tu es.

Nous avons beau scruter les plus menus sentiers, celui qui va vers Toi nous demeure caché. La terre s’évertue, s’épuise, s’empoussière à chercher Ton chemin. Le soleil fou d’amour sombre dans les ténèbres. La lune chaque mois maigrit à T’espérer. L’intrépide océan, la robe ruisselante et la bouche assoiffée, dit et redit Ton nom sur ses mille rivages… La montagne impuissante à grimper jusqu’à Toi tend aux nuages blancs ses bras pétrifiés. Le feu, les pieds brûlés, affolé de désir, se défait dans l’air bleu. Le vent, l’esprit perdu, à Te chercher partout soulève çà et là des poignées de poussière. L’eau épuisée se noie et la terre atterrée ne sait plus que prier.

T’expliquer ? Te décrire ? Hélas, je ne peux pas. Je ne Te connais pas. O mon cœur désirant, si tu veux t’enivrer du parfum de l’Unique, entre dans le chemin et marche. Sois prudent. Aiguise bien ton œil. Vois les chercheurs divins parvenus à Sa cour. Ils se sont entraidés, instruits les uns des autres. Il est autant de voies vers le glorieux Ami que d’atomes vivants. »