Darqawî – Lettres d’un maître soufi

Sheikh Al-‘Arabî Al-Darqawî (m. 1823, Maroc), Lettres d’un maître soufi, Milan, Archè, 1978, chap. 45, p. 137-138

Texte
« Enfin, mes frères, je vous recommande vivement – et « la religion, c’est le conseil sincère »[parole du prophète Mohammed] – de ne pas délaisser le souvenir (dhikr) de votre Seigneur [le dhikr est la pratique de la concentration exclusive sur ce que la Bhagavad-Gîtâ vient d’appeler la Réalité suprême, à laquelle l’islam donne le nom Allâh], ainsi qu’Il vous l’a ordonné, « debout, assis ou couchés sur vos flancs » (Coran, IV, 104) et en tout état, car nous n’avons besoin que de cela, nous, vous et tout homme, quel qu’il soit.

 

Écoutez ce que j’ai dit à l’un de nos frères pour lui donner du courage. Car il avait peur de se marier, à cause des tentations que le mariage comporterait, comme beaucoup des nôtres en ont eu peur. Je lui dis donc : nous voyons qu’il existe des hommes qui, sans être des hommes d’élite, vivent au milieu de multiples occupations comme s’ils n’en avaient point, tandis que d’autres, qui n’ont en charge que leur propre tête, l’embourbent à ce point qu’ils sont toujours en grande peine. Cela vient de ce qu’ils ne cessent pas de faire des projets et de se charger de mille soucis.

Il me paraît dès lors (mais Dieu est plus savant) que les hommes « authentiques » (rijâl) ne se laissent distraire de leur Seigneur par aucune chose, et le souci pour la famille est la moindre des choses. À quoi se fie donc celui qui, parmi vous, aspirant à l’Union avec Dieu et qui, dans ce but, abandonne toute activité visant au gain dans ce monde ci ou dans l’autre ? Quoi de plus étonnant que celui qui donne tout le tort à son activité professionnelle, s’il n’a pas su se parfaire lui-même ! Il dit : « Si j’avais quitté mes affaires pour m’occuper entièrement de mon Seigneur, je serais dans un meilleur état [spirituel]. »

Et pourtant il y a dans sa vie bien des moments perdus ; il ne les voit pas, et ne donne pas le tort au fait de les gaspiller sans s’occuper de son Seigneur. C’est là son égarement et sa perte, car il ne convient pas d’accuser ainsi ses affaires de lui avoir fait négliger le salut de son âme et celui de sa famille, tant qu’en ces moments libres il ne paie pas la part due au Seigneur. Salam [Paix]. »